Les notes éliminatoires dans les marchés publics : un outil à manier avec précaution
Introduction au concept de note éliminatoire dans les marchés publics
Dans le domaine des marchés publics, la note éliminatoire est un dispositif permettant aux acheteurs publics d’écarter certaines offres ne répondant pas à un niveau minimal de qualité ou de performance, et ce malgré un prix potentiellement attractif. Ce mécanisme, bien que non explicitement mentionné dans le Code de la commande publique, s’est imposé comme un outil pertinent pour garantir la qualité des prestations tout en respectant les principes fondamentaux de la commande publique. Elles peuvent être utilisées pour la valeur technique des offres.
L’importance réside dans leur capacité à prévenir la sélection d’offres anormalement basses ou techniquement insuffisantes, qui pourraient compromettre la bonne exécution du marché. Elles permettent également aux acheteurs publics de s’assurer que les offres retenues répondent à un standard minimal de qualité, essentiel pour la réalisation des projets publics.
Cadre juridique général des notes éliminatoires
Bien que le Code de la commande publique ne fasse pas directement référence aux notes éliminatoires, leur utilisation s’inscrit dans le cadre plus large de l’analyse et du classement des offres. L’article R2152-6 du Code de la commande publique stipule que « Les offres régulières, acceptables et appropriées, et qui n’ont pas été rejetées en application des articles R. 2152-3 à R. 2152-5 et R. 2153-3, sont classées par ordre décroissant en appliquant les critères d’attribution. »
Cette disposition laisse une marge de manœuvre aux acheteurs publics pour définir leurs méthodes d’évaluation, dont l’utilisation de notes éliminatoires fait partie, à condition de respecter les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
La jurisprudence, notamment celle de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), a confirmé la légalité de cette technique. Dans son arrêt du 20 septembre 2018 (Montte SL contre Musikene, Aff. C-546/16), la CJUE a statué que les directives « marchés publics » ne s’opposent pas à ce qu’un acheteur prévoie « des exigences minimales quant à l’évaluation technique, de telle sorte que les offres soumises qui n’atteignent pas un seuil de points minimum prédéterminé au terme de cette évaluation sont exclues de l’évaluation ultérieure fondée tant sur des critères techniques que sur le prix ».
Conditions d’utilisation des notes éliminatoires
Nécessité de les mentionner dans les documents de la consultation
L’utilisation de notes éliminatoires doit impérativement être annoncée dans les documents de la consultation. Cette exigence découle du principe de transparence et permet aux candidats de comprendre pleinement les règles du jeu avant de soumettre leur offre. Le Tribunal Administratif de Paris, dans son jugement du 16 juin 2015 (n° 1508617, Société ANSALDO STS), a rappelé qu' »aucun texte, ni aucun principe n’interdit à une entité adjudicatrice de prévoir l’attribution d’une note éliminatoire, dès lors que cette information a été portée, comme en l’espèce, à la connaissance de l’ensemble des candidats ». (Cette décision souligne l’importance de la transparence dans l’utilisation de cette technique)
Critères pouvant faire l’objet d’une note éliminatoire
Les notes éliminatoires peuvent porter sur un ou plusieurs critères d’évaluation des offres. Elles sont particulièrement pertinentes pour les critères techniques ou qualitatifs, permettant ainsi d’éviter qu’une offre techniquement faible mais financièrement attractive ne remporte le marché. La Direction des Affaires Juridiques (DAJ), dans son Guide des prix 2023, propose deux méthodes :
– Une note éliminatoire sur un ou plusieurs critères (ou sous-critères), dont le critère prix. Elle recommande que cette note ne concerne que des niveaux de note très bas (de 0 à 2 points sur 10, par exemple) et qu’elle ne soit adoptée que sur des éléments importants du marché.
– Une note cumulée (nombre de points) très insuffisante sur plusieurs critères, entraînant par leur addition une impossibilité de classer l’offre.
Limites à respecter dans l’utilisation des notes éliminatoires
L’utilisation de cette technique ne doit pas être discriminatoire ni fausser la concurrence. Le seuil d’élimination doit être fixé de manière raisonnable et proportionnée à l’objet du marché.
Le Tribunal Administratif de Versailles, dans son jugement du 21 septembre 2020 (n°2005666 Société Atelier Jean-Baptiste Chapuis), a validé l’utilisation d’une note éliminatoire en soulignant que « ce niveau d’élimination est clairement en rapport avec l’objet du marché et vise à garantir l’aptitude des prestations à satisfaire la fonction qui leur est assignée, dans les conditions particulières prévues par les documents de la consultation ». (Cette décision met en évidence l’importance de la proportionnalité dans l’utilisation des notes éliminatoires)
Enjeux et impacts des notes éliminatoires
Pour les acheteurs publics
Les notes éliminatoires offrent aux acheteurs publics un moyen de garantir un niveau minimal de qualité ou de performance dans les offres retenues. Elles permettent d’écarter des offres qui, bien que financièrement attractives, ne répondent pas aux exigences techniques ou qualitatives du marché. Cependant, leur utilisation nécessite une définition précise et objective des critères et des seuils d’élimination pour éviter tout risque de contentieux.
Pour les candidats aux marchés publics
Pour les candidats, les notes éliminatoires représentent à la fois un défi et une opportunité. Elles les incitent à améliorer la qualité technique de leurs offres, mais peuvent aussi être perçues comme une barrière à l’entrée, en particulier pour les petites entreprises ou les nouveaux entrants sur le marché.
Principales jurisprudences relatives aux notes éliminatoires
Validité du principe de notation
La CJUE, dans son arrêt du 20 septembre 2018 (Montte SL contre Musikene, Aff. C-546/16), a confirmé la légalité des notes éliminatoires au niveau européen. (Cette décision établit un cadre juridique solide pour l’utilisation des notes éliminatoires dans l’ensemble de l’Union Européenne)
Nécessité de transparence et d’information préalable
Le Tribunal Administratif de Paris, dans son jugement du 16 juin 2015 (n° 1508617, Société ANSALDO STS), a souligné l’importance de la transparence dans l’utilisation des notes éliminatoires. (Cette décision renforce l’exigence de transparence dans l’utilisation des notes éliminatoires)
Proportionnalité et non-discrimination
Le Tribunal Administratif de Versailles, dans son jugement du 21 septembre 2020 (n°2005666 Société Atelier Jean-Baptiste Chapuis), a validé l’utilisation d’une note éliminatoire en soulignant l’importance de la proportionnalité. (Cette décision établit des critères pour évaluer la légalité de cette technique)
Interdiction de fausser la concurrence
La Cour Administrative d’Appel de Nantes, dans son arrêt du 19 septembre 2013 (12NT01553), a rappelé que la méthode d’appréciation des offres, y compris l’utilisation de notes éliminatoires, ne doit pas remettre en cause les pondérations affichées. (Cette décision souligne l’importance de préserver l’intégrité du processus de sélection)
Validation de la méthode par le Conseil d’État
Le Conseil d’État, dans sa décision du 15 février 2013 (Société SFR, n° 363854), a validé l’utilisation de méthodes de notation permettant de différencier les offres sur des critères techniques, ce qui inclut l’utilisation de notes éliminatoires. (Cette décision du plus haut niveau de la juridiction administrative française conforte la légalité de leur utilisation)
Bonnes pratiques et recommandations pour l’utilisation des notes éliminatoires
Définition claire et objective des critères et des seuils d’élimination
Il est important de définir de manière précise et objective les critères sur lesquels porteront les notes éliminatoires, ainsi que les seuils en dessous desquels une offre sera éliminée. Ces éléments doivent être en adéquation avec l’objet du marché et les besoins de l’acheteur public.
Information complète dans les documents de consultation
Les documents de consultation doivent clairement indiquer l’utilisation de notes éliminatoires, les critères concernés, les seuils d’élimination et la méthode de notation utilisée. Cette transparence est essentielle pour respecter le principe d’égalité de traitement des candidats.
Choix d’une méthode de notation appropriée
La méthode de notation choisie doit permettre une différenciation réelle des offres tout en respectant les pondérations annoncées. Il est recommandé d’éviter les formules trop complexes ou celles qui pourraient aboutir à une neutralisation des écarts entre les offres.
Utilisation raisonnée et proportionnée
Les notes éliminatoires doivent être utilisées de manière raisonnée et proportionnée à l’objet du marché. Leur utilisation ne doit pas conduire à une restriction excessive de la concurrence ou à l’élimination systématique de certains types d’entreprises.
Évaluation régulière de l’impact des notes éliminatoires
Il est recommandé aux acheteurs publics d’évaluer régulièrement l’impact de l’utilisation des notes éliminatoires sur la qualité des offres reçues et sur la diversité des candidats. Cette évaluation permettra d’ajuster si nécessaire les critères et les seuils d’élimination.
Conclusion et perspectives
Les notes éliminatoires constituent un outil intéressant pour les acheteurs publics dans leur quête d’offres de qualité. Cependant, leur utilisation requiert une grande rigueur et une parfaite maîtrise des principes de la commande publique.
En conclusion, les notes éliminatoires, lorsqu’elles sont utilisées de manière transparente, proportionnée et non discriminatoire, peuvent contribuer significativement à l’amélioration de la qualité des marchés publics. Elles offrent aux acheteurs publics un outil supplémentaire pour s’assurer que les offres retenues répondent pleinement à leurs besoins, tout en respectant les principes fondamentaux de la commande publique. Leur utilisation peut ainsi conduire à une meilleure allocation des ressources publiques et à une amélioration globale de la qualité des services et des biens fournis dans le cadre des marchés publics.