L’absence du mémoire technique nécessaire au jugement de la valeur technique de l’offre ne peut être régularisée, alors qu’un dossier de candidature peut être complété si l’acheteur public ouvre cette possibilité.
Une offre qui ne comporte pas l’ensemble des pièces exigées par les documents de la consultation pour évaluer sa valeur technique présente un caractère irrégulier au sens de l’article 35-I-1° du Code des marchés publics.
Cette irrégularité impose son rejet sans possibilité de régularisation ultérieure.
Dans cette affaire, le règlement de consultation exigeait la production d’un mémoire technique pour juger la valeur technique des offres. Son absence dans l’offre de la société FMC Antilles constituait donc une irrégularité substantielle justifiant l’élimination de cette offre
Analyse de la décision CE, 4 mars 2011, n° 344197 (Mémoire technique)
Le défaut de production du mémoire technique dans une offre rend-elle celle-ci irrégulière et justifie-t-elle son rejet ?
Dans cette affaire, le Conseil d’État examine la régularité du rejet d’une offre pour absence de mémoire technique dans le cadre d’un marché d’entretien ménager. La question centrale porte sur les conséquences de l’absence d’une pièce technique majeure dans l’offre d’un candidat.
Le litige opposait la Région Réunion à la société FMC Antilles concernant un marché d’entretien ménager du campus de l’Océan indien. La société, candidate pour les trois lots du marché, a vu ses offres rejetées en raison de « l‘absence du mémoire technique nécessaire au jugement de la valeur technique de l’offre« .
Sur le caractère substantiel du mémoire technique
Le Conseil d’État confirme que le mémoire technique constitue un élément substantiel de l’offre lorsqu’il est exigé par le règlement de consultation pour permettre l’appréciation de la valeur technique selon les critères établis.
En l’espèce, le règlement de consultation exigeait expressément ce document au titre du « 2° du IV et du 2° du V » pour l’évaluation technique des offres.
Sur l’impossibilité de régularisation
La haute juridiction établit une distinction fondamentale entre :
- La phase de candidature où des compléments sont possibles (article 52 du CMP)
- La phase d’offre où, en appel d’offres ouvert, aucune régularisation substantielle n’est permise
Le Conseil d’État précise que les dispositions de l’article 52 du Code des marchés publics, qui permettent de compléter les dossiers de candidature, ne peuvent être utilisées pour pallier l’absence d’éléments substantiels de l’offre comme le mémoire technique.
Sur la qualification d’offre irrégulière
L’absence du mémoire technique entraîne la qualification d’offre irrégulière au sens de l’article 35-I-1° du Code des marchés publics, qui définit comme irrégulière « une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation« .
Texte de la décision du Conseil d’Etat
[…]
Considérant qu’aux termes du premier alinéa du I de l’article 52 du code des marchés publics, applicable à la sélection des candidatures : “ Avant de procéder à l’examen des candidatures, le pouvoir adjudicateur qui constate que des pièces dont la production était réclamée sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai identique pour tous et qui ne saurait être supérieur à dix jours. (…) Il en informe les autres candidats qui ont la possibilité de compléter leur candidature dans le même délai. “ ; qu’aux termes du troisième alinéa : “ Les candidatures (…) sont examinées au regard des niveaux de capacités professionnelles, techniques et financières mentionnées dans l’avis d’appel public à la concurrence (…). Les candidatures qui ne satisfont pas à ces niveaux de capacité sont éliminées. “ ; qu’aux termes de l’article 53, qui régit l’attribution du marché : “ I.- Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : / 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique (…). / III.- Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables sont éliminées (…) “ ; qu’aux termes de l’article 59, applicable en cas d’appel d’offres ouvert : “ I. Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre. (…) III.- Lorsque aucune candidature ou aucune offre n’a été remise ou lorsqu’il n’a été proposé que des offres inappropriées (…) ou des offres irrégulières ou inacceptables au sens du 1° du I de l’article 35, l’appel d’offres est déclaré sans suite ou infructueux (…) “ ; qu’aux termes de la deuxième phrase du 1° du I de l’article 35 : “ Une offre irrégulière est une offre qui, tout en apportant une réponse au besoin du pouvoir adjudicateur, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l’avis d’appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation. “ ;
Considérant que les dispositions citées ci-dessus distinguent la phase de sélection des candidatures à un marché public, au cours de laquelle elles permettent au pouvoir adjudicateur, avant l’examen des candidatures, et dans les conditions fixées au I de l’article 52 du code des marchés publics, de demander aux candidats de compléter leur dossier de candidature, de la phase d’attribution du marché au candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, après élimination, notamment, en application du III de l’article 53, des offres que leur teneur, incomplète, rend irrégulières ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis-de-la-Réunion que par une lettre du 30 juillet 2010 la société assistant la REGION REUNION dans la conduite de la procédure d’attribution, à la suite d’un appel d’offres ouvert, du marché d’entretien ménager du campus de l’Océan indien, a indiqué à la société FMC Antilles, candidate aux trois lots du marché, d’une part, que sa candidature était complète, et, d’autre part, qu’une autre entreprise ayant été sollicitée pour compléter son dossier de candidature, il lui était également possible de compléter le sien, conformément aux dispositions du I de l’article 52 du code des marchés publics ; que par une lettre du 16 septembre 2010, le président du conseil régional de la Réunion a informé la société FMC Antilles du rejet de ses offres pour les trois lots du marché, au motif de leur caractère incomplet et, par suite, irrégulier au regard des dispositions du 1° du I de l’article 35 du code des marchés publics ; qu’en déduisant des seuls termes de ces courriers que la REGION REUNION avait invité d’autres entreprises que la société FMC Antilles à compléter leur offre, après avoir indiqué à celle-ci que la sienne était complète et sans lui demander, avant d’éliminer son offre, de donner des précisions complémentaires, alors qu’il résulte de cette pièce qu’elle ne se rapportait qu’à la vérification des candidatures conformément aux dispositions du I de l’article 52 du code des marchés publics et non à l’examen des offres dans les conditions prévues aux articles 53 et 59 du même code, le juge des référés du tribunal administratif, qui n’a ainsi distingué ni entre le contenu du dossier de candidature et la teneur de l’offre, ni entre la phase de sélection des candidatures et celle de jugement des offres, a commis une erreur de droit ; que la REGION REUNION est par suite fondée, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de son pourvoi, à demander pour ce motif l’annulation de son ordonnance ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée, en application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Considérant que les dispositions du I de l’article 52 du code des marchés publics, citées plus haut, qui régissent la sélection des candidatures, si elles permettent au pouvoir adjudicateur qui constate que des pièces dont la production était réclamée sont absentes ou incomplètes de demander à tous les candidats concernés, avant l’examen des candidatures, dans les conditions fixées à cet article, de compléter leur dossier de candidature, ainsi qu’il a été dit plus haut, elles ne l’autorisent pas à leur demander de compléter la teneur de leur offre ;
Considérant , également, qu’il ressort de la lettre du 30 juillet 2010 que le dossier de candidature présenté par la société FMC Antilles a été regardé, avant l’examen des candidatures, comme complet ; que la lettre du 16 septembre 2010 motive l’élimination de l’offre de la société FMC Antilles, après examen des offres, non par le caractère incomplet du dossier de candidature, mais par le caractère incomplet, et donc irrégulier, de cette offre, en raison de “ l’absence du mémoire technique nécessaire au jugement de la valeur technique de l’offre “, requis par les dispositions du 2° du IV et du 2° du V du règlement de consultation pour permettre au pouvoir adjudicateur d’apprécier la valeur technique de l’offre conformément aux critères indiqués dans les documents de la consultation ; que, par suite, la société FMC Antilles, qui ne conteste pas l’appréciation portée sur le caractère complet de son dossier de candidature, ni, d’ailleurs, l’appréciation portée sur la régularité de son offre, ne peut utilement soutenir que la REGION REUNION aurait méconnu, dans la mise en oeuvre des dispositions du I de l’article 52 du code des marchés publics, le principe d’égalité de traitement des candidats en éliminant son offre au stade du jugement des offres alors qu’avant l’examen des candidatures elle ne l’avait pas invitée, sur le fondement de ces dispositions, à compléter son dossier ainsi qu’elle l’avait fait à l’égard d’un autre candidat ;
Considérant que la demande de la société FMC Antilles tendant à l’annulation des décisions de la REGION REUNION relatives à la passation du marché d’entretien ménager du campus de l’Océan indien doit dès lors être rejetée, de même que sa demande tendant à ce qu’il soit enjoint à la région de lancer un nouvel appel d’offres ;
[…]