CE, 16 avril 2018, n° 417235, DQE BPU, Société SNT Petroni

Code de la commande publiqueL’appréciation de la régularité d’une offre doit se faire de manière globale, en tenant compte de la cohérence entre le BPU et le DQE

Dans la décision (CE, 16 avril 2018, n° 417235) le juge privilégie le fond sur la forme. Le Conseil d’État adopte une approche pragmatique, considérant qu’une erreur formelle dans le BPU ne suffit pas à rendre une offre irrégulière si le candidat a bien pris en compte les modifications sur le fond, comme en témoigne le DQE.

La décision rappelle la possibilité pour l’acheteur de demander la régularisation des offres irrégulières, même en procédure d’appel d’offres, notamment pour des erreurs mineures dans le BPU.

Contexte et procédure

Le département de Corse du Sud a lancé le 29 septembre 2017 une procédure d’appel d’offres formalisée pour un marché public de travaux d’aménagement routier, divisé en cinq lots (article 32 de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015). La société SNT Petroni a soumissionné pour le lot n°1 VRD.

Le 28 novembre 2017, le département a informé SNT Petroni que son offre était rejetée comme irrégulière et que le lot n°1 était attribué à un groupement concurrent.

SNT Petroni a saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Bastia sur le fondement de l’article L.551-1 du code de justice administrative. Par ordonnance du 27 décembre 2017, le juge des référés a annulé la décision d’attribution et enjoint au département de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres.

La collectivité de Corse, venue aux droits du département, s’est pourvue en cassation contre cette ordonnance devant le Conseil d’État.

Analyse des moyens relatifs au BPU et au DQE

Le cœur du litige porte sur la régularité de l’offre de SNT Petroni, notamment au regard du Bordereau des Prix Unitaires (BPU) et du Détail Quantitatif Estimatif (DQE). Le Conseil d’État valide le raisonnement du juge des référés sur ce point :

« En en déduisant que la circonstance, pour regrettable qu’elle soit, que la SNT Petroni n’ait pas utilisé le bordereau des prix tel qu’il avait été modifié par le pouvoir adjudicateur n’était pas de nature, à elle seule, à pouvoir faire regarder son offre comme irrégulière et en relevant, au surplus, que le département aurait pu lever toute éventuelle ambiguïté en demandant une régularisation à cette candidate, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit » (considérant 4).

Le Conseil d’État s’appuie sur plusieurs éléments :

Définition de l’offre irrégulière

L’article 59 du décret n°2016-360 du 25 mars 2016 définit l’offre irrégulière comme celle « qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».

Prise en compte effective des modifications

Le Conseil d’État relève que SNT Petroni avait bien pris connaissance de la modification du bordereau effectuée par le pouvoir adjudicateur le 12 octobre 2017 et en avait tenu compte pour rédiger son offre, « ainsi que le détail estimatif des prix le confirme ».

Possibilité de régularisation

Le Conseil d’État rappelle la possibilité offerte à l’acheteur par l’article 59 II du décret de 2016 de « autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses ».

Portée de la décision concernant le BPU et le DQE

Cette décision apporte plusieurs précisions sur l’utilisation du BPU et du DQE dans l’analyse des offres :

Cohérence entre BPU et DQE

: Le Conseil d’État confirme l’importance de la cohérence entre le BPU et le DQE. Même si le BPU utilisé n’était pas le bon, le fait que le DQE reflète les modifications apportées par le pouvoir adjudicateur est un élément déterminant pour apprécier la régularité de l’offre.

Primauté du fond sur la forme

Le Conseil d’État adopte une approche pragmatique, considérant qu’une erreur formelle dans le BPU ne suffit pas à rendre une offre irrégulière si le candidat a bien pris en compte les modifications sur le fond, comme en témoigne le DQE.

Pouvoir de régularisation

La décision rappelle la possibilité pour l’acheteur de demander la régularisation des offres irrégulières, même en procédure d’appel d’offres, notamment pour des erreurs mineures dans le BPU.

La décision CE, 16 avril 2018, n° 417235, DQE BPU, Société SNT Petroni / Collectivité de Corse

La société SNT Petroni a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Bastia, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, d’annuler la décision du 28 novembre 2017 du département de Corse du Sud d’attribuer le lot n° 1 VRD du marché pour l’aménagement d’une section de la route départementale 72 au groupement composé de la société Sotrarout, de la société TBP Debene et de la société Natali et d’ordonner au département de reprendre la procédure de marché au stade de l’examen des offres. Par une ordonnance n° 1701357 du 27 décembre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a fait droit à cette demande.

1. Considérant qu’il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que le département de Corse du Sud a lancé le 29 septembre 2017 une consultation en vue de la passation, selon une procédure d’appel d’offres formalisée, d’un marché public de travaux ayant pour objet l’aménagement de la traversée de Caldaniccia – section 1 sur le territoire de la commune de Sarrola-Carcopino, divisé en cinq lots ; que la société SNT Petroni s’est portée candidate pour le lot n° 1 VRD ; que, par courrier du 28 novembre 2017, elle a été informée que son offre avait été rejetée comme irrégulière et que le lot n° 1 VRD avait été attribué au groupement constitué de la société Sotrarout, de la société TBP Debene et de la société Natali ; que par une ordonnance du 27 décembre 2017 contre laquelle la collectivité de Corse, venue aux droits du département de la Corse du Sud, se pourvoit en cassation, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Bastia a, à la demande de la société SNT Petroni, sur le fondement des dispositions de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé la décision du 28 novembre 2017 du département d’attribuer le lot n° 1 au groupement précité et enjoint au département, s’il entend poursuivre la passation du contrat, de reprendre la procédure au stade de l’analyse des offres, en y intégrant l’offre de la société SNT Petroni ;

2. Considérant que les sociétés Sotrarout, TPB Debene et Natali avaient qualité pour se pourvoir en cassation contre l’ordonnance attaquée ; que, dès lors, leurs interventions doivent être regardées comme des pourvois en cassation contre cette ordonnance ;

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :  » Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l’exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix (…)  » ; qu’aux termes de l’article 59 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics :  » Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale / (…) / II. – Dans les procédures d’appel d’offres et les procédures adaptées sans négociation, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. Toutefois, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. / (…) / IV. – La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet de modifier des caractéristiques substantielles des offres  » ;

4. Considérant, en premier lieu, qu’il ressort des énonciations de l’ordonnance attaquée que le juge des référés a relevé que la société SNT Petroni avait transmis au soutien de son offre, le 31 octobre 2017, le bordereau initial des prix, sur lequel n’apparaissaient pas les prescriptions attendues concernant la rubrique 7.11 du règlement de consultation relative à la zone de sécurité, et que cette société avait pris connaissance de la modification du bordereau effectuée par le pouvoir adjudicateur le 12 octobre 2017 dont elle a nécessairement tenu compte pour rédiger son offre, ainsi que le détail estimatif des prix le confirme ; qu’en en déduisant que la circonstance, pour regrettable qu’elle soit, que la SNT Petroni n’ait pas utilisé le bordereau des prix tel qu’il avait été modifié par le pouvoir adjudicateur n’était pas de nature, à elle seule, à pouvoir faire regarder son offre comme irrégulière et en relevant, au surplus, que le département aurait pu lever toute éventuelle ambiguïté en demandant une régularisation à cette candidate, le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit ;

5. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce qui est soutenu par les requérantes, le juge des référés n’a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que le document dénommé  » plans de signalisation  » joint à l’offre de la société SNT Petroni, qui fait apparaître la nature des travaux routiers, la gestion des flux piétons et la gestion des véhicules lors des trois phases des travaux, permettait au département, conformément aux exigences du règlement de la consultation,  » d’évaluer la pertinence du phasage en adéquation avec les contraintes du chantier et du planning fourni  » ;

6. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elles attaquent ;

Source : Legifrance 30/04/18

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000036807210