CE, 24 juillet 2024, n° 491268 Réseaux sociaux et impartialité

CE, 24 juillet 2024, n° 491268 Réseaux sociauxLe Conseil d’Etat juge que le commentaire d’un président délégué de commission, publié sur un réseau social pendant la passation d’un contrat, ne constitue pas une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante. La modération des propos et le contexte de la publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle envers le délégataire sortant.

Réseaux sociaux et principe d’impartialité de l’acheteur public

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la portée du principe d’impartialité dans le cadre d’une procédure de délégation de service public pour la gestion d’un marché forain.

En l’espèce, la commune de Sevran avait lancé une procédure de délégation de service public pour la gestion de son marché forain. Deux candidats avaient déposé une offre : la société SOMAREP, délégataire sortant, et la société Les Fils de Madame A. Le conseil municipal avait choisi d’attribuer la délégation à la seconde société.

La société SOMAREP avait alors saisi le juge des référés du tribunal administratif, qui avait annulé la procédure de passation. La commune de Sevran s’était pourvue en cassation.

Le litige portait notamment sur un commentaire publié sur Facebook par un conseiller municipal, président délégué de la commission prévue à l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales. Ce dernier avait déclaré que le marché était mal géré et qu’il fallait le réformer pour le rendre plus diversifié et y trouver plus de commerces de qualité.

Le Conseil d’Etat rappelle que le principe d’impartialité s’impose au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative, et que sa méconnaissance constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

Cependant, dans ce cas précis, le Conseil d’Etat juge que le commentaire publié ne constitue pas une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante. Il considère que la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre de la société SOMAREP.

Cette décision apporte des précisions sur les limites de l’expression des membres des commissions de délégation de service public sur les réseaux sociaux. Elle souligne l’importance d’examiner le contenu et le contexte des déclarations pour déterminer s’il y a atteinte à l’impartialité, plutôt que de se fonder uniquement sur le fait qu’un commentaire a été publié.

La décision CE, 24 juillet 2024, n° 491268

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que, par un avis d’appel public à la concurrence publié le 30 juin 2023, la commune de Sevran a lancé une procédure ouverte tendant à la conclusion d’une délégation de service public pour la gestion du marché forain de la ville pour une durée de soixante mois non renouvelable. Deux candidatures ont été déposées, émanant de la société SOMAREP, délégataire sortant, et de la société Les Fils de Madame A…. Ces deux sociétés ont été admises à présenter des offres. Le conseil municipal de Sevran a décidé d’attribuer cette délégation à la seconde de ces sociétés par une délibération adoptée le 14 décembre 2023. Saisi par la société SOMAREP, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a, sur le fondement de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, annulé cette procédure de passation par une ordonnance du 12 janvier 2024. Le pourvoi de la commune de Sevran doit être regardé comme dirigé contre les articles 1er et 2 de cette ordonnance, qui seuls lui font grief.

2. Aux termes, d’une part, de l’article L. 3 du code de la commande publique :  » Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d’égalité de traitement des candidats à l’attribution d’un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d’accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code (…) « .

3. Aux termes, d’autre part, de l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales :  » I. – Une commission analyse les dossiers de candidature et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l’égalité des usagers devant le service public. / Au vu de l’avis de la commission, l’autorité habilitée à signer la convention de délégation de service public peut organiser librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans les conditions prévues par l’article L. 3124-1 du code de la commande publique. Elle saisit l’assemblée délibérante du choix de l’entreprise auquel elle a procédé. Elle lui transmet le rapport de la commission présentant notamment la liste des entreprises admises à présenter une offre et l’analyse des propositions de celles-ci, ainsi que les motifs du choix de la candidate et l’économie générale du contrat. / II. – La commission est composée : / a) Lorsqu’il s’agit (…) d’une commune de 3 500 habitants et plus (…), par l’autorité habilitée à signer la convention de délégation de service public ou son représentant, président, et par cinq membres de l’assemblée délibérante élus en son sein à la représentation proportionnelle au plus fort reste ; (…) « . Aux termes du premier alinéa de l’article L. 1411-7 de ce même code :  » Deux mois au moins après la saisine de la commission prévue à l’article L. 1411-5, l’assemblée délibérante se prononce sur le choix du délégataire et la convention de délégation de service public « .

4. Au nombre des principes généraux du droit qui s’imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d’impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d’un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

5. Il résulte des pièces du dossier soumis au juge des référés que le message d’un internaute publié sur le réseau social  » Facebook  » le 7 août 2023, relatif au marché de Sevran, a suscité une réaction du conseiller municipal, président délégué de la commission prévue par l’article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales, lequel a déclaré en commentaire sous ce message que :  » Ce marché est mal géré. C’est dommage car il est très fréquenté. Et les incivilités font fuir les clients du centre-ville. Le bail de concessionnaire du marché doit être renouvelé en janvier prochain, c’est l’occasion de le réformer pour qu’il soit plus diversifié et qu’on y trouve plus de commerces de qualité « .

6. En jugeant que ce commentaire constituait une atteinte à l’impartialité de l’autorité concédante, alors que la modération des propos et le contexte de cette publication ne révélaient ni parti pris ni animosité personnelle à l’encontre de la société SOMAREP, le juge des référés du tribunal administratif de Montreuil a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, que la commune de Sevran est fondée à demander l’annulation des articles 1er et 2 de l’ordonnance qu’elle attaque.

Source : Legifrance  – CE, 24 juillet 2024, n° 491268

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000036807210