Offres anormalement basses OAB (Articles L2152-5 à L2152-6)

Offres anormalement bassesCode de la commande publique (Plan)

Les articles L2152-5 et L2152-6 du Code de la Commande Publique établissent le cadre juridique relatif au traitement des offres anormalement basses (OAB). Ces dispositions imposent aux acheteurs publics une obligation de vigilance et de contrôle face aux offres dont le prix apparaît manifestement sous-évalué et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Ce dispositif, qui déroge au principe de liberté des prix, met en place une procédure contradictoire obligatoire permettant au candidat de justifier le montant de son offre avant toute décision de rejet. Cette réglementation vise ainsi à protéger les intérêts de l’acheteur public tout en garantissant l’équité de la mise en concurrence et le respect des droits de la défense des opérateurs économiques.

Offres anormalement basses (Articles L2152-5 à L2152-6)

Le principe de liberté des prix, énoncé à l’article L. 410-2 du Code de commerce, trouve une exception notable en matière de commande publique avec la notion d’offre anormalement basse (OAB).

L’OAB est définie par le Code de la commande publique (CCP) comme « une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché » (Article L2152-5).

Il ne s’agit donc pas simplement d’une offre présentant un prix bas, mais d’une offre dont le prix est irréaliste au regard des prestations à exécuter et susceptible de poser des difficultés au stade de l’exécution.

Cette notion vise à protéger l’acheteur public contre le risque d’offres irréalistes, susceptibles d’entraîner des difficultés d’exécution du marché, voire la défaillance de l’entreprise titulaire.

Le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler que le seul écart de prix avec une offre concurrente ne suffit pas à qualifier une offre d’anormalement basse (CE, 29/05/2013, 366606). Le prix doit être manifestement sous-évalué, c’est-à-dire qu’il doit être en lui-même de nature à compromettre la bonne exécution du marché.

Détection de l’OAB: une approche pragmatique

Le CCP impose à l’acheteur public une obligation de vigilance pour détecter les offres anormalement basses : « L’acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses » (Article L. 2152-6).

Plusieurs indices, combinés entre eux, peuvent alerter l’acheteur sur le caractère potentiellement anormalement bas d’une offre :

Le prix de l’offre en lui-même

Un prix manifestement sous-évalué au regard des prestations à fournir doit attirer l’attention de l’acheteur. Cependant, ce critère doit être apprécié avec prudence et au regard des spécificités du marché (complexité technique, délais d’exécution, conditions d’exécution, …).

La comparaison avec les autres offres

Un écart significatif entre l’offre suspecte et la moyenne des offres reçues peut constituer un indice pertinent. La jurisprudence admet également la comparaison avec les prix habituellement pratiqués par le candidat lui-même ou les moyennes nationales.

La comparaison avec l’estimation de l’acheteur

La différence entre le prix proposé et l’estimation du coût du marché réalisée par l’acheteur peut constituer un indice supplémentaire. Toutefois, cette estimation ne doit pas constituer le seul critère d’appréciation, car elle peut être influencée par des considérations budgétaires.

Le respect des obligations sociales et environnementales

L’acheteur doit s’assurer que l’offre permet au candidat de respecter ses obligations en matière sociale et environnementale, notamment en matière de rémunération des salariés (CE, 1er mars 2012, Département de la Corse du Sud, n° 354159).

Il est important de souligner que l’utilisation d’une formule mathématique pour exclure automatiquement les offres anormalement basses est illégale (CJUE, 22 juin 1989, Sté Fratelli Costanzo SPA c/ Commune de Milan, Aff. C-103/88). L’acheteur ne peut se baser sur un seuil fixé en amont pour rejeter une offre sans avoir mis en œuvre la procédure contradictoire.

Traitement de l’OAB : une procédure contradictoire essentielle

Lorsqu’une offre lui semble anormalement basse, l’acheteur a l’obligation de mettre en œuvre une procédure contradictoire avec le candidat concerné avant de pouvoir la rejeter. Cette procédure se déroule en trois étapes principales :

Demande écrite de justifications

L’acheteur doit demander par écrit au candidat de fournir des précisions et des justifications sur le montant de son offre. Cette demande doit être formulée de manière suffisamment claire et précise pour permettre au candidat de comprendre les raisons de la demande et de fournir des explications complètes (CJUE, 29 mars 2012, SAG ELV Slovensko, Aff. C-599/10).

L’acheteur n’est pas tenu de poser des questions spécifiques et peut laisser le candidat libre de fournir les éléments qu’il juge utiles (CE, 29 octobre 2013, Département du Gard, n° 371233).

Analyse des justifications

L’acheteur doit examiner attentivement les justifications fournies par le candidat et apprécier leur pertinence au regard de l’objet du marché, des contraintes techniques, des conditions économiques du secteur, …

Le CCP liste de manière non exhaustive les éléments que le candidat peut invoquer pour justifier son prix (mode de fabrication, conditions d’exécution, aides d’Etat…).

Décision motivée d’admission ou de rejet

Si les justifications apportées par le candidat sont jugées insuffisantes, l’acheteur doit rejeter l’offre par une décision motivée. Cette décision doit être notifiée au candidat et mentionner de manière précise les raisons pour lesquelles l’offre est considérée comme anormalement basse.

L’absence de réponse du candidat à la demande de justification vaut rejet de l’offre (CAA Bordeaux, 17 novembre 2009, SICTOM Nord, n° 08BX01571 ; CE, 30 mars 2017, n°406224).

Risques et contentieux : un contrôle du juge

Le non-respect de la procédure de détection et de traitement des offres anormalement basses est susceptible d’entraîner l’annulation de la procédure de passation du marché par le juge administratif.

Le juge exerce un contrôle de pleine juridiction sur la régularité de la procédure

L’acheteur a-t-il bien mis en œuvre la procédure contradictoire ?

Les justifications demandées au candidat étaient-elles suffisamment claires et précises ?

Le délai accordé au candidat pour répondre était-il raisonnable ? (CAA Paris, 6 mai 2014, Association Frate Formation Conseil, n° 11PA01533)

Le juge exerce un contrôle restreint sur l’appréciation du caractère anormalement bas de l’offre

Il vérifie si la décision de l’acheteur est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation (CE, 15 avril 1996, Commune de Poindimie, n° 133171).

Il ne peut substituer son appréciation à celle de l’acheteur sur le bien-fondé des explications fournies par le candidat, sauf si la décision de ce dernier est manifestement erronée.

En cas d’annulation de la procédure pour non-respect des règles relatives aux offres anormalement basses, le candidat évincé peut prétendre à l’indemnisation de son manque à gagner, s’il démontre qu’il avait une chance sérieuse de remporter le marché (CAA de Nancy, 7 novembre 2013, Société TST-Robotics, n° 12NC01498 ; CCA Lyon, 10 janvier 2019, n°16LY03949).

Conclusion : un équilibre délicat entre attractivité des prix et sécurité de l’exécution

La détection et le traitement des offres anormalement basses constituent un enjeu majeur de la commande publique.

L’acheteur public doit trouver un équilibre entre la recherche du prix le plus avantageux et la sécurité juridique et financière de l’exécution du marché.

La jurisprudence, abondante en la matière, apporte des précisions utiles sur la procédure à respecter et sur les critères d’appréciation du caractère anormalement bas d’une offre.