L’acheteur peut-il régulariser une offre irrégulière dans une réponse à un marché public ?
Définition de l’offre irrégulière
L’offre irrégulière est celle qui ne respecte pas toutes les exigences fixées par l’acheteur public dans les documents de la consultation (règlement de la consultation, cahier des charges, etc.).
La définition est issue de l’article L2152-2 du Code de la commande publique selon lequel « Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ».
Une offre irrégulière peut être régularisée par l’acheteur public dans un délai approprié, à condition qu’elle ne soit pas anormalement basse et ne modifie pas ses caractéristiques substantielles.
Article R2152-2 Code de la commande publique
Dans toutes les procédures, l’acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses.
La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d’en modifier des caractéristiques substantielles.
Règles applicables de régularisation
L’acheteur peut écarter une offre irrégulière sans invitation à la régulariser, mais il peut aussi choisir d’inviter le soumissionnaire à corriger les irrégularités.
Si une offre irrégulière présente une simple erreur matérielle ou une incohérence mineure, la régularisation est généralement possible et peut aider à respecter le principe d’égalité entre candidats.
La régularisation doit se faire sans modifier les aspects substantiels de l’offre, tels que l’objet ou le montant de la proposition initiale, pour éviter des contentieux.
Une offre qui serait manifestement incomplète, comme le manque de documents essentiels, ne pourra pas être régularisée.
Exemple : absence du mémoire technique exigé par le règlement de la consultation.
Comment l’acheteur identifie une offre régularisable ?
Pour identifier une offre régularisable, le maitre d’ouvrage peut prendre en compte plusieurs critères :
La nature de l’irrégularité, il peut vérifier si l’irrégularité concerne des éléments mineurs ou formels, tels que des erreurs matérielles, des omissions de documents non essentiels, ou des incohérences mineures entre les documents soumis.
Par exemple, une différence mineure dans le prix entre le mémoire technique et l’acte d’engagement peut être régularisable.
L’absence de documents non essentiels, ainsi une offre peut être considérée comme régularisable si elle manque des documents qui ne sont pas indispensables à l’analyse de l’offre, comme un document de forme qui n’affecte pas les critères de sélection.
La conformité aux exigences du cahier des charges, et en ce sens, il est nécessaire que l’offre respecte toujours les exigences fondamentales du marché. Si l’irrégularité ne modifie pas les caractéristiques essentielles de l’offre, comme les critères de prix ou de qualité, elle est probablement régularisable.
Les conditions fixées par le règlement de la consultation, l’acheteur doit s’assurer que les documents de la consultation n’interdisent pas la régularisation des offres. Si la régularisation est permise, cela augmentera la marge de manœuvre lors de l’évaluation de l’offre.
L’intérêt général de l’offre, car la décision de régulariser peut également dépendre de l’intérêt économique de l’offre. Si elle est jugée économiquement viable ou techniquement pertinente, l’acheteur public peut être plus enclin à permettre sa régularisation pour ne pas écarter un candidat intéressant.
Ces éléments doivent être soigneusement évalués par l’acheteur pour chaque situation afin de décider si une offre peut être régularisée sans affecter l’intégrité et le principe d’égalité de traitement entre les soumissionnaires.
Conditions de la régularisation
L’acheteur n’est pas obligé de demander la régularisation d’une offre irrégulière ; il peut choisir de la rejeter directement. Si l’acheteur décide de demander une régularisation, il doit le faire pour tous les soumissionnaires dont les offres sont régularisables, afin de respecter le principe d’égalité de traitement.
L’acheteur doit accorder un délai raisonnable aux soumissionnaires pour régulariser leurs offres. Ce délai doit être fixé en tenant compte des modifications à apporter et doit être identique pour tous les candidats concernés.
Pour ce qui est des offres régularisables, la régularisation ne peut pas modifier les caractéristiques substantielles de l’offre. Il ne s’agit pas de permettre au soumissionnaire de présenter une nouvelle offre, mais plutôt de corriger des erreurs ou des omissions mineures. Les offres anormalement basses ne peuvent pas être régularisées.
Les modalités de la régularisation sont encadrées. L’acheteur doit préciser clairement les éléments à modifier dans la demande de régularisation. Le soumissionnaire doit transmettre son offre régularisée selon les mêmes modalités que celles prévues pour la transmission des offres initiales. L’acheteur doit comparer attentivement l’offre régularisée avec l’offre initiale pour vérifier qu’aucune modification n’a été apportée.
Types d’irrégularités pouvant être régularisées
Les offres irrégulières sont celles qui ne respectent pas les exigences formulées dans les documents de la consultation ou qui méconnaissent la législation applicable. Voici des exemples d’irrégularités qui peuvent être régularisées :
- Une simple erreur matérielle dans l’offre peut être corrigée.
- Des omissions mineures également. Une offre dont l’annexe à l’acte d’engagement n’indique pas les délais d’exécution, alors que ceux-ci figurent dans le planning joint, peut être régularisée.
- Une non-conformité mineure à la législation peut être rectifiée. Une offre qui propose un produit de nettoyage non conforme à une législation relative à l’environnement peut être régularisée.
- Une offre transmise sous format papier alors que la transmission électronique était obligatoire peut être régularisée.
- Un bordereau des prix incomplet ou mal renseigné
Types d’irrégularités ne pouvant pas être régularisées
Certaines irrégularités sont considérées comme substantielles et ne peuvent pas être régularisées :
- L’absence de documents importants. Ainsi une offre qui ne comprend pas un document essentiel tel que le mémoire technique ne peut pas être régularisée.
- Une offre constituée uniquement des fichiers de signature électronique
- Une offre ne respectant pas les prix imposés par la loi. Ainsi une offre dont les prix proposés ne sont pas conformes à l’article L. 6211-21 du code de la santé publique ne peut pas être régularisée.
- Les offres anormalement basses.
- Une variante qui ne respecte pas les exigences minimales ou les exigences de présentation peut être rejetée, sauf si la régularisation est possible, en fonction de l’ampleur des modifications à apporter à l’offre.
Procédure de régularisation
L’acheteur adresse une demande de régularisation aux candidats concernés, en précisant les éléments manquants ou à corriger.
Les candidats ne peuvent apporter que des compléments qui répondent aux demandes de l’acheteur et ne peuvent pas compléter ou régulariser leur offre sur d’autres points.
L’acheteur doit accorder un délai raisonnable et identique à tous les candidats pour la régularisation. Une fois ce délai écoulé, si le candidat n’a pas produit les documents ou renseignements demandés, sa candidature doit être rejetée.
Interdiction d’une deuxième demande de régularisation.
Distinction avec la demande de précisions
Il est nécessaire de distinguer la demande de régularisation d’une offre irrégulière de la demande de précisions.
La demande de précisions intervient lorsqu’une offre est ambiguë ou incohérente, sans être irrégulière, et vise à éclaircir certains éléments de l’offre. La demande de précisions ne permet pas de modifier l’offre, tandis que la régularisation permet de corriger une offre irrégulière, dans la limite des modifications non substantielles.
Régularisation en fonction des procédures
Pour les procédures adaptées sans négociation et appels d’offres, la régularisation des offres irrégulières est une faculté pour l’acheteur.
Pour les autres procédures (avec négociation ou dialogue compétitif), les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu’elles ne soient pas anormalement basses. Si, à l’issue de la négociation, l’offre demeure irrégulière ou inacceptable, elle sera rejetée.
Pour les concessions, l’autorité concédante peut recourir à la négociation et, durant cette phase, les candidats peuvent modifier leurs offres, sous réserve de modifications non substantielles.
Il en résulte que la régularisation des offres irrégulières est une procédure encadrée qui permet de corriger des erreurs ou des omissions mineures dans les offres, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats et sans modifier les caractéristiques substantielles des offres.
Jurisprudence
CE, 26 avril 2018, n° 417072, Département des Bouches-du-Rhône (L’acheteur peut autoriser la régularisation des offres irrégulières, mais n’y est pas obligé. La régularisation doit respecter le principe d’égalité de traitement).
CE, 21 septembre 2011, n° 349149, Département des Hauts-de-Seine (La régularisation ne doit pas modifier les caractéristiques substantielles de l’offre).
CE, 20 septembre 2019, n° 421075, Collectivité territoriale de Corse (Distinction entre les documents nécessaires et les éléments d’information utiles. L’absence d’un élément utile peut être sanctionnée par une note de zéro, sans entraîner l’élimination de l’offre).
CE, 20 septembre 2019, n° 421075, Société Vendasi. (Le principe selon lequel un acheteur ne peut attribuer un marché public à un candidat présentant une offre incomplète).
CE, 17 juillet 2013, n° 366864, Département de la Guadeloupe (Un critère portant sur l’âge des véhicules peut être retenu dans le cadre d’un marché de transport scolaire par autocar, dans la mesure où l’utilisation d’un tel critère, qui se rapporte objectivement aux caractéristiques de confort, de sécurité et d’efficience que le pouvoir adjudicateur était en droit d’attendre des véhicules proposés, est manifestement justifié par l’objet du marché public).
CE, 25 mars 2013, n° 364824, Département de l’Hérault. (Les dispositions des articles R. 2152-1 et R. 2152-2 du code de la commande publique n’autorisent pas l’acheteur à modifier ou rectifier de lui-même une offre irrégulière).
CE, 21 novembre 2014, n° 384089, Commune de Versailles. (Les dispositions des articles R. 2152-1 et R. 2152-2 du code de la commande publique n’autorisent pas l’acheteur à modifier ou rectifier de lui-même une offre irrégulière).
CE, 21 septembre 2011, n° 349149, Département des Hauts-de-Seine. (Les erreurs purement matérielles ne peuvent plus être rectifiées dans le cadre d’une demande de précisions).
CE, 25 mai 2018, n° 417580, Nantes Métropole. (L’utilisation d’un critère relatif à la politique générale de l’entreprise en matière sociale ne respecte pas le principe du lien avec l’objet du marché).
CJCE, 17 septembre 2002, Aff. C-513/99, Concordia Bus Finland. (Les critères devront également respecter les principes du droit de la commande publique, être objectifs, et ne pas être formulés de manière à donner un pouvoir discrétionnaire à l’acheteur public).
CJCE, 4 décembre 2003, Aff C-448/01, ENV AG et Wienstrom GmbH contre Républik Osterreich. (Les critères doivent se rapporter à des ressources susceptibles d’être effectivement mobilisées par le candidat pour l’exécution du marché).
CE, 15 février 2013, n° 363921, Société Derichebourg polyurbaine. (Il n’est pas possible d’examiner les offres à l’aune d’un critère relatif à la politique sociale de l’entreprise).
TA Pau, 5 août 2024, n° 2401810 – Discordances BPU / DQE
Le juge précise les conditions de régularisation des offres présentant des discordances entre le bordereau des prix unitaires et le détail quantitatif estimatif.
Le Tribunal administratif était saisi de deux questions essentielles concernant la régularisation des offres en matière de marchés publics :
- dans quelle mesure des discordances entre le bordereau des prix unitaires (BPU) et le détail quantitatif estimatif (DQE) peuvent-elles faire l’objet d’une régularisation ?
- Et quelles sont les limites de cette régularisation au regard de l’interdiction de modifier substantiellement les offres ?
Dans son ordonnance du 25 octobre 2024, le juge du référé précontractuel considère que la correction d’incohérences entre BPU et DQE relève du champ de la régularisation, même lorsqu’elle conduit à une modification significative du montant total de l’offre, dès lors qu’il s’agit d’appliquer les prix unitaires qui prévalent contractuellement.
Il précise également que l’importance de la modification financière n’est pas en soi constitutive d’une modification substantielle, sauf manœuvre délibérée du candidat.
En l’espèce, dans le cadre d’un marché de canalisation d’eau potable, le syndicat intercommunal avait autorisé un groupement à corriger des discordances entre son BPU et son DQE, conduisant à une baisse de plus de 150 000 euros sur une offre d’environ 1,3 million d’euros.